Archives mensuelles : mars 2022

Le mot du lundi : antonomase, n.f.

Bonjour !

Aujourd’hui j’ai envie de vous parler de l’antonomase, cette figure de style que l’on emploie parfois sans le savoir (qui n’a jamais dit « Kleenex » au lieu de dire « mouchoir en papier » ?).

Ce terme provient du grec anti, « contre, à la place de », et onoma, « nom ».

L’antonomase, qui est plus spécifiquement un trope, renvoie à deux procédés inverses :

  • on utilise un nom propre ou une périphrase comme nom commun. Par exemple : un Harpagon pour une personne avare ou un Tartuffe pour un.e hypocrite ;
  • on emploie un nom commun pour signifier un nom propre. Par exemple : le Sauveur pour Jésus Christ.

Passez un bon lundi !

Eugène SUE, Mathilde (1845) : un roman populaire

J’ai lu Mathilde, mémoires d’une jeune femme il y a déjà quelques années, pour un cours de M1 sur les romans populaires. Je vous recommande ce roman-fleuve qui fut d’abord publié sous la forme d’un feuilleton, c’est-à-dire en épisodes successifs, dans le périodique La Presse. Les épisodes ont ensuite été réunis en un ouvrage de plusieurs tomes, paru en 1845.

Cette composition en épisodes tient le lecteur en haleine : chaque épisode s’achève sur des scènes extraordinaires, des révélations à demi-mots ou des propos empreints de suspense. À l’époque, le Tout-Paris en attend impatiemment la parution.  

Ce roman-feuilleton est aussi ce que l’on nomme aujourd’hui un roman populaire. Il s’agit d’un genre qui regroupe des romans facilement accessibles à tous, liés à la production de masse. Selon Daniel Couégnas, « le roman populaire, par l’intermédiaire du feuilleton, reprend et amplifie la formule : son texte est avant tout narratif parce que l’attente curieuse de ce qui va arriver dans la suite du récit, au « prochain numéro », constitue la motivation la plus commune, la plus fédératrice d’un lectorat potentiellement immense ».

Voici quelques éléments de bibliographie qui peuvent vous éclairer à ce sujet :

ARTIAGA Loïc, « Lu, critiqué, consommé : le roman populaire et ses lecteurs », dans : Loïc Artiaga éd., Le roman populaire. Des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles, 1836-1960. Paris, Autrement, « Mémoires/Histoire », 2008, p. 117-135. DOI : 10.3917/autre.artia.2008.01.0117. URL : https://www.cairn.info/–9782746712003-page-117.htm

COMPÈRE, Daniel, les romans populaires, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2011.

COUÈGNAS, Daniel, « Qu’est-ce que le roman populaire ? », dans : Loïc Artiaga éd., Le roman populaire. Des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles, 1836-1960. Paris, Autrement, « Mémoires/Histoire », 2008, p. 35-53. DOI : 10.3917/autre.artia.2008.01.0035. URL : https://www.cairn.info/–9782746712003-page-35.htm

DUMASY-QUEFFÉLEC, Lise, « Univers et imaginaires du roman populaire », dans : Loïc Artiaga éd., Le roman populaire. Des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles, 1836-1960. Paris, Autrement, « Mémoires/Histoire », 2008, p. 75-95. DOI : 10.3917/autre.artia.2008.01.0075. URL : https://www.cairn.info/–9782746712003-page-75.htm

FRIGERIO, Vittorio, « Bons, belles et méchants (sans oublier les autres) : le roman populaire et ses héros », dans : Loïc Artiaga éd., Le roman populaire. Des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles, 1836-1960. Paris, Autrement, « Mémoires/Histoire », 2008, p. 97-115. DOI : 10.3917/autre.artia.2008.01.0097. URL : https://www.cairn.info/–9782746712003-page-97.htm

Quelques mots-clés : vertu, amour, amour, perversité, infidélité.

Les thèmes principaux abordés dans Mathilde apparaissent souvent binaires (on ne saurait toutefois appliquer systématiquement une dichotomie parfois artificielle) :

  • le milieu aristocratique et ses codes ;
  • le bien versus le mal ;
  • l’amour et la fidélité ;
  • la beauté versus la laideur ;
  • la vérité versus le mensonge ;
  • la candeur versus le calcul.

La crédulité de Mathilde doit être soulignée dans la mesure où elle ignore tout des codes dont chacun use en société, par-là elle est sans défense, livrée aux beaux parleurs, individus dont la malveillance est sans limite. Elle va ainsi d’illusion en désillusion, à grand renfort de réactions fortement « lacrymales ».

Cette dualité demeurera prégnante tout au long du récit : le bien opposé au mal, une dichotomie certes déjà évoquée, mais dont la simplicité finale correspond aux poncifs du roman populaire.

En quoi Mathilde est-il un exemple représentatif du roman populaire ?

Eugène Sue brosse dans Mathilde la peinture des mœurs d’une époque. Il met en lumière un certain milieu aristocratique, au sein duquel les préoccupations des jeunes filles et de leur mère – ou de leur tante – sont l’amour, les bals, le mariage, mais aussi la fidélité, la fortune, les sentiments. Pour l’héroïne, Mathilde, il s’agit surtout de la vertu ; elle considère la pureté morale comme un idéal. Mais les illusions s’estompent pour laisser place à la tromperie, la manipulation, le duel réparateur d’une offense.

On retrouve régulièrement l’opposition entre Mathilde, qui incarne le bien, et sa cousine Ursule, qui représente le calcul, l’immoralité, la séduction… Cette dualité apparaît en filigrane dès les premières pages ; elle n’est cependant ni naturelle ni innée, mais travaillée, obtenue par de laborieuses et systématiques démarches de sabotage affectif perpétrées par la tante de Mathilde, Mademoiselle de Maran.

Les motifs épistolaire et diariste abondent tout au long du récit. Leur importance en nombre n’en est pas moins qualitative, dans la mesure où ces motifs apportent des informations essentielles à la compréhension du récit ou de la personnalité de tel ou tel personnage.

Par-là, le fond et la forme s’entremêlent de façon significative. La curiosité que le feuilleton éveille chez le lecteur prend toute sa légitimité. Il s’agit fondamentalement d’atteindre la sensibilité du lecteur, c’est pourquoi notamment l’action prévaut dans le récit. Ce dernier est ainsi facile à lire, sa lecture étant guidée par la structure en deux parties, puis en tomes et chapitres : chacun possède un titre qui facilite d’autant la compréhension de l’intrigue.

Les rebondissements sont très nombreux, de surcroît ils sont souvent le résultat de la lecture d’une lettre, d’un journal intime… On note à ce propos que la répétition formelle ou en matière de fond est un trait propre au roman populaire. Pour Daniel Couégnas, dans le roman populaire, « les choses répétées plaisent ». Par ailleurs à chaque fois que le bonheur de Mathilde semble acquis, une nouvelle péripétie met à mal à pérennité. On peut en conclure que Mathilde, mémoires d’une jeune femme, par la forme qu’il arbore aussi bien que par les poncifs qu’il emploie, est bien représentatif de la littérature populaire.

Le mot du lundi : métalepse, n.f.

Encore un concept de narratologie ! Encore Gérard Genette ! Vous l’aurez compris, la narratologie me passionne. J’espère que cela vous passionnera à votre tour !

Nous nous intéresserons dans cet article à la métalepse telle que Gérard Genette la définit dans son ouvrage Figures III*. Nous avons déjà vu ce qu’était la diégèse (https://moncarnetlitteraire.wordpress.com/2022/02/14/le-mot-du-lundi-diegese-n-f/). Il s’agit ici de passer d’un niveau narratif à un autre, soit de franchir la frontière : ainsi pour reprendre l’exemple de Genette, une métalepse narrative renvoie à

« toute intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans un univers diégétique (ou de personnages diégétiques dans un univers métadiégétique, etc.), ou inversement »*.

Plus simplement, on peut aussi parler de l’interruption d’un récit qui met ainsi en scène le narrateur ou le lecteur. On pense alors à Maître Puce d’Hoffmann, dont mon analyse du 3 mars dernier livre moult exemples. https://moncarnetlitteraire.wordpress.com/2022/03/03/e-t-a-hoffmann-maitre-puce-1822/

Les fonctions de la métalepse peuvent être aussi bien ludiques que sérieuses.

*GENETTE, Gérard, Figures III, Seuil, « Poétique », 1972, p.243-246.

Pour aller plus loin :

LAVOCAT, Françoise, « Et Genette inventa la métalepse », PUF, Nouvelle revue d’esthétique, 2020/2, n°26.

PIER, John & SCHAEFFER, Jean-Marie, Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Éditions de l’EHESS, 2005.

WAGNER, Frank, « Métalepse / Metalepsis », Glossaire du RéNaF, mis en ligne le 10 juillet 2020, URL : https://wp.unil.ch/narratologie/2020/07/metalepse-metalepsis/

Le mot du lundi : intertextualité, n.f.

Bonjour !

Avant de définir l’intertextualité, je vous propose de suivre les propos de trois théoriciens, Julia Kristeva, Roland Barthes et Gérard Genette.

La notion d’intertextualité a d’abord été théorisée par Julia Kristeva dans les années 1960 : « Tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte » (Julia KRISTEVA, « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman », Critique, avril 1967).

Roland Barthes a prolongé cette conception ainsi : « Tout texte est un intertexte ; d’autres textes sont présents en lui, à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables ».

Si Gérard Genette quant à lui préfère parler de transtextualité (à ce propos, reportez-vous au CHARAUDEAU, Patrick & MAINGUENEAU, Dominique, sous la dir. de, Dictionnaire d’analyse du discours, Éditions du Seuil, 2002, p.327-329), il écrit toutefois : « Je définis [l’intertextualité] (…) par une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c’est-à-dire (…) par la présence effective d’un texte dans un autre » (GENETTE, Gérard, Palimpsestes, 1982).

Dès lors, comment définir l’intertextualité ?

Vous l’aurez compris, il s’agit des relations, explicites ou implicites, unissant un texte à d’autres textes, et ce de deux manières :

  • la citation ;
  • l’allusion.

Et si vous me proposiez des exemples maintenant ?

Passez un bon lundi !

Kristopher JANSMA, New York Odyssée (2017)

Il y a quelques temps j’ai lu New York Odyssée de Kristopher Jansma : 600 pages où l’auteur tombe toujours juste. Point de misérabilisme, point de mièvrerie, les choses arrivent, tristes ou belles, comme dans une fresque mobile de personnages attachants. Un travelling dans New York. Et, comme le souligne Jacob, l’un des personnages, « Qui pourrait ne pas aimer cette ville ? » (p.33).

Irène, Sara et George, William, Jacob forment un groupe d’amis inséparables, de ceux que l’on rêve d’avoir à ses côtés. Ils vivent tous à New York, ils travaillent, font la fête…

Et puis Irène tombe malade, une maladie qui révèle en chacun de ses amis ses défauts, ses qualités ; ces personnages sont plus que des entités d’encre et de papier, ils sont très « vrais ».

J’ai littéralement adoré ce roman. J’avoue certes que j’ai eu du mal les 100 premières pages à rentrer dans l’histoire, mais j’ai persisté, et je ne le regrette pas. Ce roman m’a éblouie, fait réfléchir, fait rêver aussi. Magnifique.

Silvia AVALLONE, Une amitié (2022)

L’une est effacée, l’autre extravertie.

L’une s’entoure de livres, l’autre accumule les tenues voyantes.

On est en 2001, au tout début d’Internet, puis de l’avènement des réseaux sociaux.

Elisa a quatorze ans, elle est mal dans sa peau et fréquente assidûment la bibliothèque municipale. Béatrice, même âge, est quant à elle obsédée par son apparence, façonnée par sa mère.

Tout les oppose alors, et pourtant elles vont se lier d’une amitié aussi fusionnelle qu’ambivalente.

Les relations familiales, les premiers émois, les espoirs en l’avenir sont des thèmes abordés sans parcimonie dans Une amitié.

Dès lors, qui est cette « Rossetti » évoquée non sans émotion par la narratrice dix-huit ans plus tard ?

L’âge adulte est-il celui des révélations ?

Car aucune des deux jeunes femmes n’est innocente.

Si l’épaisseur d’une amitié est examinée avec minutie, une relation de domination s’esquisse dans ce roman. Mais laquelle des deux prend finalement le dessus ?

Le mot du lundi : mise en abyme

Si l’expression mise en abyme provient traditionnellement de l’héraldique, on la trouve désormais dans le domaine des beaux-arts et en littérature.

Ce procédé a par ailleurs été popularisé par André Gide et est associé au Nouveau Roman.

Dès lors, que signifie ce dispositif narratif ?

La mise en abyme consiste en l’insertion ou plus précisément l’enchâssement d’un récit dans un autre récit, tous deux étant liés par une relation de similitude.

Exemple :

Dans Hamlet (Acte III, scène 2), se joue une pièce de théâtre mettant en scène l’assassinat du roi par son frère.

Bon début de semaine !

Gail HONEYMAN, Eleanor Oliphant va très bien (2017)

À la lecture d’Eleanor Oliphant va très bien*, je suis passée par nombre d’émotions : le ton désopilant de la narratrice, sa façon de s’exprimer dans un registre toujours soutenu et précis, sa bizzarerie concernant les codes de la communication font sourire et rendent le personnage à la fois drôle et étonnant. Mais il y a l’autre facette, celle du personnage qui souffre et qui, entamant une psychothérapie, se libère peu à peu du carcan qui l’asphyxie.

Eleanor, le personnage principal comme vous l’aurez compris, connaît une longue évolution vers les autres, se fait des amis, ressent des émotions et nous entraine à sa suite dans une histoire fondamentalement douloureuse, de celles qui nous font venir les larmes aux yeux.

Le titre veut tout dire – et en même temps peut-il tout dire ?

Mais à la fin, même si on sait qu’il lui reste encore du boulot, on espère (du moins je l’espère) que finalement, Eleanor Oliphant va mieux.

* HONEYMAN, Gail, Eleanor Oliphant va très bien, Fleuve éditions, 2017, 430 pages.