Archives pour la catégorie Lectures et coups de coeur

Cécile COULON, La langue des choses cachées (2024)

Récemment j’ai lu La langue des choses cachées de Cécile COULON, publié aux éditions L’Iconoclaste (j’ai pour cette maison d’édition un intérêt croissant).

(image Babelio)

4e de couverture

À la tombée du jour, un jeune guérisseur se rend dans un village reculé. Sa mère lui a toujours dit :  » Ne laisse jamais de traces de ton passage.  » Il obéit toujours à sa mère. Sauf cette nuit-là.

Ce que j’en pense

Le personnage principal (le fils) tient de sa mère (la mère) des pouvoirs : il est guérisseur. Alors que sa mère ne peut plus se rendre au chevet d’un malade, il doit la remplacer et entreprend ce voyage seul.

A son arrivée au Fond du Puits il est accueilli par un prêtre…

… Chaque page m’a offert l’urgence de continuer ma lecture. L’écriture confine à la poésie, les évènements narrés sont percutants, ce livre est un conte, un conte qui hésite entre le noir et le gris foncé, et d’une époque qu’on ignore.

Les personnages sont peu nombreux, les dialogues rares, l’atmosphère tendue. Ce roman aborde d’une manière tout en subtilité la culpabilité, la mémoire, la puissance, la vengeance.

D’abord curieuse, je me suis prestement laissé happer par l’histoire, j’ai ressenti de l’angoisse, de la peur, j’ai été bouleversée, dérangée, et ce par-delà l’envie de plus en plus forte de connaître la fin de ce roman.

J’aurais aimé que ce roman – mais n’est-il pas un conte ? – soit encore plus long pour ne pas le refermer, j’aurais alors aimé ne jamais le terminer, et suivre ainsi longtemps encore les pas du fils ; il demeure alors en moi la possibilité d’imaginer le retour du fils auprès de sa mère, le réveil de l’homme aux épaules rouges, et je frissonne à cette pensée. La langue des choses passées est un roman pressant autant que puissant. Une pépite.

DUMAS, Alexandre, La Dame pâle (1849)

Voici la 4e de couverture

« Texte extrait du recueil des Mille et Un Fantômes

Au cœur des Carpathes, dans le sombre château de Brankovan, les princes Grégoriska et Kostaki, s’affrontent pour conquérir la belle Hedwige. Or Kostaki est un vampire qui revient chaque nuit assouvir sa soif de sang auprès de la jeune femme devenue l’objet d’une lutte sans merci entre les deux frères.
Une étrange histoire pleine de romantisme et de fantastique où l’angoisse le dispute au romanesque… »

Ce que j’en retiens

Un texte incroyable, à lire à la lumière de la narratologie puisqu’il s’agit d’un récit enchâssé dans un premier récit qui l’englobe. Racontée par la dame pâle, l’histoire mêle action, effroi, fantastique… Même si l’on connaît le résumé, la figure surgissante du vampire crée son effet et suscite à la fois crainte et horreur. Un texte incontournable à lire et à explorer ! J’ai adoré.

TOURGUENIEV, Ivan, Le Journal d’un homme de trop (1850)

4ème de couverture

Extrait de Romans et nouvelles (Bibliothèque de la Pléiade)

« Le printemps, le printemps arrive ! Je suis assis sous ma fenêtre et mon regard, par-delà la rivière, va se perdre dans les champs. Ô nature ! Nature ! Je t’aime si fort, et pourtant je suis sorti de tes entrailles incapable même de vivre. Tiens, un moineau mâle qui sautille, les ailes écartées ; il crie, et chacune des notes de sa voix, chacune des petites plumes ébouriffées de son corps minuscule respire la santé et la vigueur…
Que faut-il en déduire ? Rien. Il est sain, il a le droit de crier et d’ébouriffer ses plumes ; et moi je suis malade, et je dois mourir, c’est tout. »

Un récit crépusculaire et contemplatif, sous forme de journal intime, par la grande plume russe de Premier amour.

Ce que j’en pense

J’ai lu ce récit, d’abord avec quelque ennui, mais je me suis rapidement attachée au narrateur, j’ai suivi sa non-histoire d’amour avec un intérêt croissant : des sentiments, des regards, des pommettes qui rosissent face à un être aimé… jusqu’au duel.

Le narrateur souffre, il se méprend sur les intentions d’une jeune femme, il connaît humiliations sur humiliations. Il se sent banni de la société. Il souffre, disais-je, il s’interroge, revient sur ses propos, et ne voit dans la mort qu’un ultime repos.

A la lecture du Journal d’un homme de trop, j’ai ressenti des émotions telles que celles connues il y a plusieurs années lorsque j’ai lu Les Souffrances du jeune Werther de GOETHE. De la figure de l’oiseau aux affres de l’amour déçu, outre un statut déchu, ces deux récits sont également rédigés sous forme de journal.

« Ma situation était particulièrement absurde : je me taisais obstinément, il m’arrivait de ne pas prononcer une syllabe pendant des jours entiers. Je ne me suis jamais distingué par mon éloquence, comme je l’ai dit plus haut ; mais maintenant, tout ce que j’avais d’esprit s’en allait aux quatre vents en présence du prince, et je restais le bec dans l’eau. En outre, une fois seul, j’obligeais ma pauvre cervelle à se donner tant de mal pour repasser lentement tout ce que j’avais pu remarquer ou surprendre au cours de la précédente soirée, que lorsque je retournais chez les Ojoguine, il me restait tout juste assez de force pour reprendre ma surveillance. »

Tout au long de ma lecture, je me suis demandé pourquoi, de quoi, comment le narrateur envisageait la mort. Selon lui, au tout début, le docteur se trahit lors d’une consultation et conforte le narrateur dans son assurance d’une mort imminente. Dès lors, de quoi mourra-t-il ? C’est l’une des interrogations qui subsiste en moi depuis que j’ai refermé ce livre.

Ivan TOURGUENIEV, Clara Militch (1883)

Je viens de finir de lire Clara Militch, une nouvelle écrite par Ivan TOURGUENIEV en 1882 puis publiée en 1883.

Voici la 4e de couverture

Lorsque Jacques Aratov rencontre Clara Militch, une jeune et talentueuse actrice, il est troublé, ému.
Mais les mois passent et il ne pense plus guère à elle, jusqu’au jour où il apprend qu’elle s’est suicidée. Commence alors pour Aratov une quête amoureuse et désespérée sur les traces de Clara Militch pour comprendre son geste…

Une incroyable et bouleversante histoire d’amour par-delà la mort.

Mon résumé

Que dire de plus ? Que quelques regards égarent un jeune homme, Aratov ? Qu’il fait la rencontre éphémère avec une actrice, Clara ? Tout est dit, et pourtant on a envie de comprendre et de s’interroger sur ce qui marquera, à l’insu du personnage, son existence jusqu’à la mort. Car son enquête pour comprendre le geste de désespoir de Clara le mène finalement à une sorte de folie, mais une folie souriante, une folie heureuse, suivie d’une mort heureuse.

Mon avis

J’avoue que cette nouvelle m’a d’abord fait penser aux écrits fantastiques, et pourtant je crains de passer à côté de la beauté de ce texte si je l’enferme dans une catégorie. C’est une histoire d’amour impossible que raconte le narrateur, mais dans quelle diégèse l’amour ne peut-il pas être possible ? J’ai beaucoup aimé cette lecture, le style est fluide, les personnages attachants. La mort y est présentée comme un instant nécessaire, une belle et lumineuse suite de ce qu’aura été la vie.

C’est là une magnifique nouvelle, qu’on lit d’une traite et qui laisse le lecteur mi-éberlué, mi-apaisé…

DELAUME, Chloé, Pauvre folle (2023)

C’est à travers une écriture très particulière que Clotilde raconte son histoire d’amour avec Guillaume. Elle est dans le train pour Heidelberg et laisse défiler ses souvenirs tels les paysages à travers la vitre.

La mère de Clotilde a été assassinée par son époux, le père de Clotilde donc, Clotilde est bipolaire, Guillaume est homosexuel et a désormais un petit ami.

Pourtant Clotilde échange avec Guillaume, la Reine et le Monstre sont omniprésents dans sa vie, dans sa tête. Ils s’écrivent, donc, et Clotilde espère-t-elle ?

Un roman qui aborde une histoire d’amour révolue car impossible, écrit dans un style parfois complètement fou : Clotilde extrait de sa tête d’une façon qui paraît concrète des éléments de son existence.

Un roman qui pourrait être des plus douloureux mais que la narratrice parvient à sublimer avec finesse et à grand renfort de distanciation davantage que de dissociation.

Dans ce roman j’ai appris le terme « forclusion », mécanisme psychique introduit par Lacan pour définir un rejet psychologique. Le sujet, en l’occurrence Clotilde, rejette donc des évènements et autres éléments insupportables avant de les intégrer. Tout ceci inconsciemment.

Je vous ai déjà parlé de La Transparence intérieure de Dorrit Cohn, je vous propose de lire Pauvre folle à la lumière de cet ouvrage.

Anthologie : 10 nouvelles fantastiques de l’Antiquité à nos jours

Je viens de finir de lire les nouvelles regroupées dans l’anthologie 10 nouvelles fantastiques de l’Antiquité à nos jours. Voici celles qui m’ont particulièrement marquée.

J’ai été très étonnée à la lecture de la Maison hantée écrite par… Pline le jeune ! Le fantastique n’est donc pas né avec Hoffmann et Chamisso au XIXe siècle. En quelques paragraphes Pline le jeune parvient à capter l’attention du lecteur en lui proposant une histoire de fantôme des plus originales.

J’ai également adoré le Coquillage de Ray Bradbury : il y est question d’un petit garçon et d’un étrange coquillage. Le placer près de son oreille ne sera pas sans conséquence. C’est sa mère elle-même – qui lui a innocemment offert ce présent – qui découvrira l’horreur du dénouement.

Le recueil s’achève avec Fonds d’écran de Pierre Bordage. C’est l’histoire d’un adolescent qui cherche à s’intégrer à l’école. Est-ce que le téléphone portable qu’il vient de s’offrir pourra lui apporter quelque notoriété auprès de ses pairs, sinon au moins le rendre un peu populaire ? Vous le découvrirez en lisant cette nouvelle contemporaine, dans laquelle un objet banal va se transformer en objet maléfique…

10 nouvelles fantastiques de l’Antiquité à nos jours, présentées par Alain Grousset, Flammarion jeunesse, 2019.

Bonne lecture !

Edgar Allan POE, La Chute de la maison Usher (1839)

Je viens de finir de lire un court récit mené d’un bout à l’autre à un rythme saccadé par un narrateur attentif et observateur. Il s’agit de la Chute de la maison Usher, publié par Edgar Allan Poe en 1839.

Résumé

Roderick Usher vit avec sa sœur dans une sinistre demeure. Le narrateur vient y séjourner quelques semaines, ayant reçu une lettre de son ami l’y invitant instamment. Il découvre alors la maison qui lui inspire d’emblée quelque terreur, avant de pénétrer à l’intérieur où l’y attend son ami.

Conte ou nouvelle ?

Si le terme « conte » est utilisé couramment au XIXe siècle, la Chute de la maison Usher n’est pas sans présenter les caractéristiques d’une « nouvelle », notamment par sa structure : brièveté, réalité, chute, mais aussi par l’introduction d’un élément dans le récit que Todorov nomme « hésitation ». L’hésitation du narrateur (et du lecteur si l’on s’intéresse aux théories de la réception) est telle qu’elle sous-entend une dimension fantastique au récit, déjà esquissée par l’isotopie de l’affliction et celle de la peur.

Nouvelle fantastique

Plusieurs éléments concordent pour pouvoir parler de nouvelle fantastique.

C’est précisément au milieu du récit (l.286-288) que l’on sent un basculement hors de la réalité tangible : « j’appris que le coup d’œil que j’avais jeté sur elle serait probablement le dernier, – que je ne verrais plus la dame, vivante du moins. »

L’aspect fantastique est renforcé par des expressions telles que « sensations extranaturelles » (l.222), mais prévalent indéniablement les isotopies qui se mêlent, s’approchent, se démêlent, à mesure que le terme « mélancolie » laisse place à l’oppression, au malaise, et jusqu’à l’épouvante : « le sinistre fantôme, la PEUR ! » (l.269).

Brièvement

Voici un récit très rapide et très facile à lire et dont les clés de lecture sont très accessibles. Le résumé est succinct à dessein : je ne veux pas vous en dire plus !

Pour aller plus loin

https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-chute-de-la-maison-usher-pourquoi-cette-nouvelle-d-edgar-poe-fascine-autant-8374918

https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2013-1-page-27.htm

https://www.cairn.info/revue-etudes-2008-6-page-789.htm

Mikhaïl BOULGAKOV, Morphine (1927)

Morphine est une nouvelle quasi-autobiographique dans laquelle il est essentiellement question de l’addiction progressive et douloureuse d’un médecin à la morphine.

Russie, 1918

Dans ce récit court, cru et rapide, un médecin, Poliakov, appelle à l’aide un ancien collègue, Bomgard.

On apprend rapidement que Bomgard ne pourra pas sauver Poliakov. Il reçoit en effet peu après le journal intime de Poliakov qui le lui adresse comme une anamnèse après s’être donné la mort.

Ce journal intime s’insère dans le récit, créant par là une véritable mise en abyme (un récit dans le récit). A sa lecture on apprend la descente – en abyme ? – aux enfers de Poliakov : Morphine relate prestement le douloureux parcours d’un médecin qui tombe par quelques milligrammes ou centigrammes dans l’addiction à la morphine. Descente vertigineuse.

Peut-être devrais-je dire qu’il s’agit là d’un chef d’œuvre du genre, que la morphinomanie y est limpidement décrite, concentrée sur le phénomène de manque qui transforme un médecin en un être faible et agité, en un homme obsédé par la recherche d’un apaisement, de plaisirs artificiels, et, qui le réduit, finalement, à ses seules supplications.

Trop court ? Trop rapide ? Un dénouement trop attendu ?

Peut-être suis-je passée à côté de quelque chose durant ma lecture. Car ce livre m’a ennuyée, il m’a si peu apporté que je devrais sans doute le relire ! Il ne répond à aucune de mes interrogations.

Et vous qu’en pensez-vous ?

Ixchel DELAPORTE, Ecoute les murs parler (2023)

Sous la forme d’un roman, l’autrice, qui est aussi la narratrice, mène une enquête, un projet documentaire au sein de l’hôpital psychiatrique de Cadillac. Elle observe, puis elle approche et interroge les patients, se heurte au corps médical, s’attache, aussi, aux personnages que l’on considère comme fous, alors que la folie justement n’est rien de plus qu’un désolant raccourci.

Son écriture, toujours juste, précise et sensible (sans jamais tomber dans la sensiblerie) s’immisce intimement en nous.

Ixchel raconte. Elle dépeint une galerie d’individus tristes, seuls, malades, avides de rencontres. Leur souffrance, à vif, eux que la société écarte et conditionne, nous interpelle.

C’est au fond un témoignage riche de personnages hauts en couleur et que l’autrice s’attache à décrire dans leur individualité même, dans leur singularité. Chacun d’entre eux est nommé, puis décrit dans le contexte dans lequel il.elle s’inscrit.

Ce roman, d’une certaine manière, est une vraie leçon de vie, car chacun d’entre nous ne dissimule-t-il.elle pas ses failles sous de solides apparences ?

Ixchel DELAPORTE, Ecoute les murs parler, éditions L’Iconoclaste, 2023.

Gérard de NERVAL, Aurélia (1855)

L’œuvre de Gérard de NERVAL, Aurélia (1855), retranscrit l’étroite collaboration ou plus précisément la cohabitation entre le rêve et la vie. Ainsi Nerval raconte ses rêves, ses hallucinations, lui qui fut interné en 1841 et se suicida le 26 janvier 1855.

Cette œuvre m’a paru complexe, elle est très difficile à résumer. Voici toutefois quelques éléments glanés au fil des pages :

  • le soleil, la lumière versus la mort et le néant : deux topiques qui rythment Aurélia ;
  • la religion occupe une place fondamentale dans l’oeuvre ; s’il est question de Dieu et de la Sainte-Vierge, le blasphème mais surtout la question du salut sont omniprésents ;
  • l’intertextualité de même que de nombreuses références picturales sont prégnantes ;
  • Enfin, en vrac, la ville, les couleurs, les descriptions, les vêtements et le bestiaire sont des éléments à souligner.

A approfondir !