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Cécile COULON, La langue des choses cachées (2024)

Récemment j’ai lu La langue des choses cachées de Cécile COULON, publié aux éditions L’Iconoclaste (j’ai pour cette maison d’édition un intérêt croissant).

(image Babelio)

4e de couverture

À la tombée du jour, un jeune guérisseur se rend dans un village reculé. Sa mère lui a toujours dit :  » Ne laisse jamais de traces de ton passage.  » Il obéit toujours à sa mère. Sauf cette nuit-là.

Ce que j’en pense

Le personnage principal (le fils) tient de sa mère (la mère) des pouvoirs : il est guérisseur. Alors que sa mère ne peut plus se rendre au chevet d’un malade, il doit la remplacer et entreprend ce voyage seul.

A son arrivée au Fond du Puits il est accueilli par un prêtre…

… Chaque page m’a offert l’urgence de continuer ma lecture. L’écriture confine à la poésie, les évènements narrés sont percutants, ce livre est un conte, un conte qui hésite entre le noir et le gris foncé, et d’une époque qu’on ignore.

Les personnages sont peu nombreux, les dialogues rares, l’atmosphère tendue. Ce roman aborde d’une manière tout en subtilité la culpabilité, la mémoire, la puissance, la vengeance.

D’abord curieuse, je me suis prestement laissé happer par l’histoire, j’ai ressenti de l’angoisse, de la peur, j’ai été bouleversée, dérangée, et ce par-delà l’envie de plus en plus forte de connaître la fin de ce roman.

J’aurais aimé que ce roman – mais n’est-il pas un conte ? – soit encore plus long pour ne pas le refermer, j’aurais alors aimé ne jamais le terminer, et suivre ainsi longtemps encore les pas du fils ; il demeure alors en moi la possibilité d’imaginer le retour du fils auprès de sa mère, le réveil de l’homme aux épaules rouges, et je frissonne à cette pensée. La langue des choses passées est un roman pressant autant que puissant. Une pépite.

Où quelques mots suffisent pour créer des images (oui, le propre de la poésie)

« (…) La grâce dérobée des fleurs.

Parce qu’elles s’inclinent sous leur propre poids, certaines jusqu’à terre, on dirait qu’elles vous saluent, quand on voudrait les avoir soi-même, le premier, saluées.

Ainsi groupées on dirait une figure de ballet (…). »

Plus loin :

« (…) Elles s’ouvrent, elles se déploient, comme on voudrait que le fassent le temps, notre pensée, nos vies.

L’ornement, l’inutile, le dérobé

Saluez ces plantes, pleines de grâce

Parure, vivante, brièveté changée en parure, fragilité faite parure

Avec ceci de particulier, sinon de plus, qu’elles pèsent, qu’elles s’inclinent, comme trop lasses pour porter leur charge de couleur. Quelques gouttes de pluie et ce serait l’éparpillement, la défaite, la chute (…) ».

Et finalement :

« (…) Elles n’auront pas duré (…) ».

Cette citation est extraite du poème « Les Pivoines », lui-même extrait de l’ensemble « Après beaucoup d’années » (JACCOTTET, Philippe, Cahier de verdure suivi de Après beaucoup d’années, Gallimard, 1994).

Une citation : Jules SUPERVIELLE

Une fois n’est pas coutume, aujourd’hui voici un poème extrait de La Fable du monde (1938) de Jules Supervielle (1884-1960) :

« Le silence approchant les objets familiers,

Voyez-le comme il rôde et craint de nous toucher.

Reviendra-t-il demain décidé à tuer.

En attendant il nous lance les pierres sourdes

Qui tombent dans l’étang de notre cœur troublé

Puis s’éloigne, songeant que ce n’est pas le jour. »

Pour tout vous dire, j’aime aussi et notamment Henri Michaux (1899-1984), Yves Bonnefoy (1923-2016), René Char (1907-1988), Saint-John Perse (1887-1975). Alors attendez-vous à quelques prochaines citations… 😉

Bonne soirée !

Une citation : Philippe JACCOTTET

Aujourd’hui j’ai envie de partager avec vous un poème de Philippe Jaccottet, extrait de Chants d’en bas. J’ai peut-être découvert ce poète tardivement, mais à chaque lecture, au hasard des pages, ses propos me ravissent et m’emportent loin de moi. C’est magnifique.

« Déchire ces ombres enfin comme chiffons,

vêtu de loques, faux mendiant, coureur de linceuls :

singer la mort à distance est vergogne,

avoir peur quand il y aura lieu suffit. A présent,

habille-toi d’une fourrure de soleil et sors

comme un chasseur contre le vent, franchis

comme une eau fraîche et rapide ta vie.

Si tu avais moins peur,

tu ne ferais plus d’ombre sur tes pas. »

Philippe JACCOTTET, A la lumière d’hiver, précédé de Leçons et de Chants d’en bas, suivi de Pensées sous les nuages, Gallimard, 1994, p.51.