Archives mensuelles : juillet 2022

Une citation : Jules SUPERVIELLE

Une fois n’est pas coutume, aujourd’hui voici un poème extrait de La Fable du monde (1938) de Jules Supervielle (1884-1960) :

« Le silence approchant les objets familiers,

Voyez-le comme il rôde et craint de nous toucher.

Reviendra-t-il demain décidé à tuer.

En attendant il nous lance les pierres sourdes

Qui tombent dans l’étang de notre cœur troublé

Puis s’éloigne, songeant que ce n’est pas le jour. »

Pour tout vous dire, j’aime aussi et notamment Henri Michaux (1899-1984), Yves Bonnefoy (1923-2016), René Char (1907-1988), Saint-John Perse (1887-1975). Alors attendez-vous à quelques prochaines citations… 😉

Bonne soirée !

Une citation : Philippe JACCOTTET

Aujourd’hui j’ai envie de partager avec vous un poème de Philippe Jaccottet, extrait de Chants d’en bas. J’ai peut-être découvert ce poète tardivement, mais à chaque lecture, au hasard des pages, ses propos me ravissent et m’emportent loin de moi. C’est magnifique.

« Déchire ces ombres enfin comme chiffons,

vêtu de loques, faux mendiant, coureur de linceuls :

singer la mort à distance est vergogne,

avoir peur quand il y aura lieu suffit. A présent,

habille-toi d’une fourrure de soleil et sors

comme un chasseur contre le vent, franchis

comme une eau fraîche et rapide ta vie.

Si tu avais moins peur,

tu ne ferais plus d’ombre sur tes pas. »

Philippe JACCOTTET, A la lumière d’hiver, précédé de Leçons et de Chants d’en bas, suivi de Pensées sous les nuages, Gallimard, 1994, p.51.

Le mot du lundi : gnomique, adj.

Bonjour !

À partir des différents documents que j’ai consultés (notamment le Jarrety, le dictionnaire de l’Académie française, etc.), j’ai pu distinguer trois acceptions concernant le terme gnomique :

  1. qui se présente sous forme de sentences, qui est constitué de sentences, maximes, préceptes, conseils pratiques versifiés ;
  2. se dit d’une forme verbale (mode, temps) servant à marquer un fait général : par exemple « La raison du plus fort est toujours la meilleure » (La Fontaine, Fables). Par ailleurs, on qualifie de gnomique l’emploi du présent que l’on trouve dans les énoncés de de type, par opposition au présent d’énonciation, de narration, de description. Par exemple : « La Terre tourne autour du Soleil » ;
  3. le troisième point se rapporte à la poésie : les poètes de l’Antiquité grecque pratiquaient une poésie dite gnomique, c’est-à-dire qu’ils s’exprimaient par sentences et maximes. Les plus célèbres poètes gnomiques sont Théognis et Phocylide.

Quant à l’étymologie du terme gnomique, il est emprunté au grec gnômikôs, « en forme de sentence », lui-même dérivé de gnômê, « opinion ».

Enfin, pour aller plus loin :

Vignes Jean. Pour une gnomologie : Enquête sur le succès de la littérature gnomique à la Renaissance.. In: Seizième Siècle, N°1, 2005. pp. 175-211;
doi : https://doi.org/10.3406/xvi.2005.853
https://www.persee.fr/doc/xvi_1774-4466_2005_num_1_1_853

Bon début de semaine !

Françoise SAGAN, Bonjour tristesse (1954)

Avant-hier j’ai eu envie de relire ce roman de Françoise Sagan qui m’avait déjà beaucoup plu il y a plus de… vingt ans !

La narratrice

La narratrice raconte une histoire passée, qui lui appartient et qu’elle se remémore avec quelque amertume : « J’avais dix-sept ans ». Narratrice autodiégétique, s’exprimant à la première personne du singulier, elle est ainsi l’héroïne de son propre récit.

Elle s’appelle Cécile, elle a donc dix-sept ans et passe des vacances d’été avec son père et Elsa, la maîtresse de ce dernier.

Cécile qui a retrouvé son père à sa sortie de pension deux ans plus tôt, parle alors d’elle-même comme le « jouet » de son père. Elle est sa distraction, son divertissement :

« Je ne connaissais rien, il allait me montrer Paris, le luxe, la vie facile » (p.27)

Outrer l’argent, les dépenses, elle mentionne les « plaisirs faciles », précisant par ailleurs que « le goût du plaisir, du bonheur représente le seul côté cohérent de [s]on caractère ».

Cécile pourrait être considérée simplement comme superficielle. Mais son personnage est plus complexe, plus riche. Parce qu’elle évolue au fil de l’œuvre, c’est un personnage « dynamique ». Par ses traits contradictoires, elle est aussi un personnage « épais », pour reprendre les termes du théoricien E.M. Forster.

Une arrivée inopinée

Alors que les trois personnages mènent une existence dominée par un certain hédonisme, l’arrivée d’une quatrième personne va bouleverser leur mode de vie.

Il s’agit d’Anne, une amie de la défunte mère de Cécile. La description de son apparition dans le salon est particulièrement symbolique :

« Je me rappelle exactement cette scène : au premier plan, devant moi, la nuque dorée, les épaules parfaites d’Anne ; un peu plus bas, le visage ébloui de mon père, sa main tendue et, déjà dans le lointain, la silhouette d’Elsa. » (p.47)

En effet, Anne apparaît rapidement comme une menace aux yeux de Cécile.

La menace

Cécile la dépersonnalise, elle la voit comme une « entité », non comme un être sensible (p.57) :

« Je n’avais jamais pensé à Anne comme à une femme. Mais comme à une entité : j’avais vu en elle l’assurance, l’élégance, l’intelligence, mais jamais la sensualité, la faiblesse… » (p.57)

Anne est à l’opposé des autres personnages. Elle est réfléchie, posée. Et pourtant le père de Cécile la demande en mariage. Cette nouvelle terrasse Cécile, qui souligne la puissance d’Anne :

« je me perdais moi-même. (…) Je mesurai sa force : elle avait voulu mon père, elle l’avait, elle allait peu à peu faire de nous le mari et la fille d’Anne Larsen. C’est-à-dire des êtres policés, bien élevés et heureux ».

La narratrice craint que son existence ne change complètement. Anne incarne une forme de sagesse, de sévérité voire d’austérité, notamment lorsqu’elle enferme Cécile dans sa chambre afin qu’elle y étudie ses cours de philosophie au lieu de rejoindre son petit ami Cyril à la plage.

« Tout cela était fini. A mon tour, j’allais être influencée, remaniée, orientée par Anne. »

À travers les propositions mises en apposition, Cécile souligne les différences qui les opposent, elle et son père, à Anne :

« Je me disais : « elle est froide, nous sommes chaleureux ; elle est autoritaire, nous sommes indépendants ; elle est indifférente : les gens ne l’intéressent pas, ils nous passionnent ; elle est réservée, nous sommes gais » » (p.72).

Un plan cruel

Dès lors, Cécile réagit. Il n’est pour elle pas question de se laisser entrainer dans un mode de vie qui ne lui correspond pas, de se laisser « voler », de voir son existence « saccagée » (p.77). Elle se rebelle et fomente bientôt un plan cruel à l’encontre d’Anne…

Nous connaissons la suite. Le plan fonctionne, il fonctionne même trop bien.

Et puis le temps passe. À la rentrée, à Paris, la vie reprend son cours, les rencontres, les sorties. Seul perdure chez Cécile un sentiment qu’elle appelle « tristesse », ou n’est-ce pas plutôt le remords, accompagné de son lot de réminiscences : « ma mémoire parfois me trahit : l’été revient et tous ses souvenirs » (p.154) ?

Bonne lecture !

Françoise SAGAN, Bonjour tristesse, éditions Julliard, 1954.

Le mot du lundi : épenthèse, n.f.

Bonjour !

Vous connaissez la pièce de théâtre Ubu roi (1896) d’Alfred Jarry ! Vous voyez où je veux en venir ?

« Merdre ! »

C’est une épenthèse : il s’agit d’insérer une lettre ou une syllabe à l’intérieur d’un mot qui est ainsi altéré (épenthèse vient du grec epenthesis, qui signifie « intercalation »).

Une autre figure existe, la paremptose : il s’agit cette fois d’ajouter une lettre, non une syllabe.

Par ailleurs, l’épenthèse comme la paremptose relèvent du métaplasme, qui regroupe toutes les figures où un mot est altéré par :

  • adjonction ;
  • suppression ;
  • inversion

de sons ou de lettres.

Pour aller plus loin, voici quelques métaplasmes :

  • prosthèse ;
  • paragoge ;
  • aphérèse ;
  • syncope ;
  • apocope, élision ;
  • métathèse ;
  • diérèse ;
  • contraction, synérèse

(Voir pour toutes ces figures le Gradus de Bernard DUPRIEZ).

Bonne journée ensoleillée !

Hye-Jin KIM, A propos de ma fille (2022)

Bonjour !

Je viens tout juste de finir A propos de ma fille, roman contemporain traduit du coréen, qui nous transporte à Séoul, à travers la voix d’une mère qui se trouve confrontée aux choix de vie de sa fille unique.

La narratrice est très attachée aux convenances, au paraître, à ce que peuvent dire les voisins.

Or sa fille est homosexuelle… Une situation complexe à ses yeux d’autant plus que cette dernière, la trentaine, qui rencontre des difficultés, lui demande de l’accueillir – car elle ne vient pas seule.

« Dans quelques jours ou quelques mois, tout sera peut-être rentré dans l’ordre, comme si de rien n’était. Je pourrai alors oublier la scène que j’ai sous les yeux, la froisser en une petite boule et la jeter au loin. Ou alors je n’ai qu’à me dire que ce n’est pas vrai, continuer à faire semblant. » (pp.55-56)

Tout au long du roman la narratrice s’interroge, elle a honte, elle culpabilise. Mais les mots ont du mal à franchir ses lèvres et le malaise s’installe.

Elle travaille par ailleurs dans une maison de retraite, où elle s’occupe d’une dame âgée, Jen, à laquelle elle s’est attachée.

En fait je vais m’arrêter là. Je ne veux pas vous raconter l’histoire en entier ; j’ai beaucoup aimé ce roman, qui est très touchant et tout en délicatesse. Il aborde des thèmes fondamentaux, la vieillesse, les relations interpersonnelles et notamment les rapports mère-fille, la différence, le sentiment de culpabilité et la solitude aussi.

KIM Hye-Jin, A propos de ma fille, Gallimard, 2022.

Bonne lecture !

Le mot du lundi : acribologie, n.f.

Bonjour !

Le substantif féminin acribologie est un mot très rare : on ne le trouve guère dans les dictionnaires d’aujourd’hui. Cet article sera donc des plus concis.

Passons à l’essentiel : acribologie, qu’est-ce que cela veut dire ?

Acribologie vient du grec ancien akribeia, « exactitude », « soin minutieux ».

Il s’agit alors d’un souci de précision et de rigueur dans le choix des mots que l’on emploie.

Par exemple : ce rédacteur a une certaine propension à l’acribologie !

Je vous le concède, vous ne l’utiliserez peut-être pas tous les jours… 😉 sinon avec parcimonie…

Bonne journée !