Archives pour la catégorie Littérature étrangère

TOURGUENIEV, Ivan, Le Journal d’un homme de trop (1850)

4ème de couverture

Extrait de Romans et nouvelles (Bibliothèque de la Pléiade)

« Le printemps, le printemps arrive ! Je suis assis sous ma fenêtre et mon regard, par-delà la rivière, va se perdre dans les champs. Ô nature ! Nature ! Je t’aime si fort, et pourtant je suis sorti de tes entrailles incapable même de vivre. Tiens, un moineau mâle qui sautille, les ailes écartées ; il crie, et chacune des notes de sa voix, chacune des petites plumes ébouriffées de son corps minuscule respire la santé et la vigueur…
Que faut-il en déduire ? Rien. Il est sain, il a le droit de crier et d’ébouriffer ses plumes ; et moi je suis malade, et je dois mourir, c’est tout. »

Un récit crépusculaire et contemplatif, sous forme de journal intime, par la grande plume russe de Premier amour.

Ce que j’en pense

J’ai lu ce récit, d’abord avec quelque ennui, mais je me suis rapidement attachée au narrateur, j’ai suivi sa non-histoire d’amour avec un intérêt croissant : des sentiments, des regards, des pommettes qui rosissent face à un être aimé… jusqu’au duel.

Le narrateur souffre, il se méprend sur les intentions d’une jeune femme, il connaît humiliations sur humiliations. Il se sent banni de la société. Il souffre, disais-je, il s’interroge, revient sur ses propos, et ne voit dans la mort qu’un ultime repos.

A la lecture du Journal d’un homme de trop, j’ai ressenti des émotions telles que celles connues il y a plusieurs années lorsque j’ai lu Les Souffrances du jeune Werther de GOETHE. De la figure de l’oiseau aux affres de l’amour déçu, outre un statut déchu, ces deux récits sont également rédigés sous forme de journal.

« Ma situation était particulièrement absurde : je me taisais obstinément, il m’arrivait de ne pas prononcer une syllabe pendant des jours entiers. Je ne me suis jamais distingué par mon éloquence, comme je l’ai dit plus haut ; mais maintenant, tout ce que j’avais d’esprit s’en allait aux quatre vents en présence du prince, et je restais le bec dans l’eau. En outre, une fois seul, j’obligeais ma pauvre cervelle à se donner tant de mal pour repasser lentement tout ce que j’avais pu remarquer ou surprendre au cours de la précédente soirée, que lorsque je retournais chez les Ojoguine, il me restait tout juste assez de force pour reprendre ma surveillance. »

Tout au long de ma lecture, je me suis demandé pourquoi, de quoi, comment le narrateur envisageait la mort. Selon lui, au tout début, le docteur se trahit lors d’une consultation et conforte le narrateur dans son assurance d’une mort imminente. Dès lors, de quoi mourra-t-il ? C’est l’une des interrogations qui subsiste en moi depuis que j’ai refermé ce livre.

Ivan TOURGUENIEV, Clara Militch (1883)

Je viens de finir de lire Clara Militch, une nouvelle écrite par Ivan TOURGUENIEV en 1882 puis publiée en 1883.

Voici la 4e de couverture

Lorsque Jacques Aratov rencontre Clara Militch, une jeune et talentueuse actrice, il est troublé, ému.
Mais les mois passent et il ne pense plus guère à elle, jusqu’au jour où il apprend qu’elle s’est suicidée. Commence alors pour Aratov une quête amoureuse et désespérée sur les traces de Clara Militch pour comprendre son geste…

Une incroyable et bouleversante histoire d’amour par-delà la mort.

Mon résumé

Que dire de plus ? Que quelques regards égarent un jeune homme, Aratov ? Qu’il fait la rencontre éphémère avec une actrice, Clara ? Tout est dit, et pourtant on a envie de comprendre et de s’interroger sur ce qui marquera, à l’insu du personnage, son existence jusqu’à la mort. Car son enquête pour comprendre le geste de désespoir de Clara le mène finalement à une sorte de folie, mais une folie souriante, une folie heureuse, suivie d’une mort heureuse.

Mon avis

J’avoue que cette nouvelle m’a d’abord fait penser aux écrits fantastiques, et pourtant je crains de passer à côté de la beauté de ce texte si je l’enferme dans une catégorie. C’est une histoire d’amour impossible que raconte le narrateur, mais dans quelle diégèse l’amour ne peut-il pas être possible ? J’ai beaucoup aimé cette lecture, le style est fluide, les personnages attachants. La mort y est présentée comme un instant nécessaire, une belle et lumineuse suite de ce qu’aura été la vie.

C’est là une magnifique nouvelle, qu’on lit d’une traite et qui laisse le lecteur mi-éberlué, mi-apaisé…

Anthologie : 10 nouvelles fantastiques de l’Antiquité à nos jours

Je viens de finir de lire les nouvelles regroupées dans l’anthologie 10 nouvelles fantastiques de l’Antiquité à nos jours. Voici celles qui m’ont particulièrement marquée.

J’ai été très étonnée à la lecture de la Maison hantée écrite par… Pline le jeune ! Le fantastique n’est donc pas né avec Hoffmann et Chamisso au XIXe siècle. En quelques paragraphes Pline le jeune parvient à capter l’attention du lecteur en lui proposant une histoire de fantôme des plus originales.

J’ai également adoré le Coquillage de Ray Bradbury : il y est question d’un petit garçon et d’un étrange coquillage. Le placer près de son oreille ne sera pas sans conséquence. C’est sa mère elle-même – qui lui a innocemment offert ce présent – qui découvrira l’horreur du dénouement.

Le recueil s’achève avec Fonds d’écran de Pierre Bordage. C’est l’histoire d’un adolescent qui cherche à s’intégrer à l’école. Est-ce que le téléphone portable qu’il vient de s’offrir pourra lui apporter quelque notoriété auprès de ses pairs, sinon au moins le rendre un peu populaire ? Vous le découvrirez en lisant cette nouvelle contemporaine, dans laquelle un objet banal va se transformer en objet maléfique…

10 nouvelles fantastiques de l’Antiquité à nos jours, présentées par Alain Grousset, Flammarion jeunesse, 2019.

Bonne lecture !

Edgar Allan POE, La Chute de la maison Usher (1839)

Je viens de finir de lire un court récit mené d’un bout à l’autre à un rythme saccadé par un narrateur attentif et observateur. Il s’agit de la Chute de la maison Usher, publié par Edgar Allan Poe en 1839.

Résumé

Roderick Usher vit avec sa sœur dans une sinistre demeure. Le narrateur vient y séjourner quelques semaines, ayant reçu une lettre de son ami l’y invitant instamment. Il découvre alors la maison qui lui inspire d’emblée quelque terreur, avant de pénétrer à l’intérieur où l’y attend son ami.

Conte ou nouvelle ?

Si le terme « conte » est utilisé couramment au XIXe siècle, la Chute de la maison Usher n’est pas sans présenter les caractéristiques d’une « nouvelle », notamment par sa structure : brièveté, réalité, chute, mais aussi par l’introduction d’un élément dans le récit que Todorov nomme « hésitation ». L’hésitation du narrateur (et du lecteur si l’on s’intéresse aux théories de la réception) est telle qu’elle sous-entend une dimension fantastique au récit, déjà esquissée par l’isotopie de l’affliction et celle de la peur.

Nouvelle fantastique

Plusieurs éléments concordent pour pouvoir parler de nouvelle fantastique.

C’est précisément au milieu du récit (l.286-288) que l’on sent un basculement hors de la réalité tangible : « j’appris que le coup d’œil que j’avais jeté sur elle serait probablement le dernier, – que je ne verrais plus la dame, vivante du moins. »

L’aspect fantastique est renforcé par des expressions telles que « sensations extranaturelles » (l.222), mais prévalent indéniablement les isotopies qui se mêlent, s’approchent, se démêlent, à mesure que le terme « mélancolie » laisse place à l’oppression, au malaise, et jusqu’à l’épouvante : « le sinistre fantôme, la PEUR ! » (l.269).

Brièvement

Voici un récit très rapide et très facile à lire et dont les clés de lecture sont très accessibles. Le résumé est succinct à dessein : je ne veux pas vous en dire plus !

Pour aller plus loin

https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-chute-de-la-maison-usher-pourquoi-cette-nouvelle-d-edgar-poe-fascine-autant-8374918

https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2013-1-page-27.htm

https://www.cairn.info/revue-etudes-2008-6-page-789.htm

Mikhaïl BOULGAKOV, Morphine (1927)

Morphine est une nouvelle quasi-autobiographique dans laquelle il est essentiellement question de l’addiction progressive et douloureuse d’un médecin à la morphine.

Russie, 1918

Dans ce récit court, cru et rapide, un médecin, Poliakov, appelle à l’aide un ancien collègue, Bomgard.

On apprend rapidement que Bomgard ne pourra pas sauver Poliakov. Il reçoit en effet peu après le journal intime de Poliakov qui le lui adresse comme une anamnèse après s’être donné la mort.

Ce journal intime s’insère dans le récit, créant par là une véritable mise en abyme (un récit dans le récit). A sa lecture on apprend la descente – en abyme ? – aux enfers de Poliakov : Morphine relate prestement le douloureux parcours d’un médecin qui tombe par quelques milligrammes ou centigrammes dans l’addiction à la morphine. Descente vertigineuse.

Peut-être devrais-je dire qu’il s’agit là d’un chef d’œuvre du genre, que la morphinomanie y est limpidement décrite, concentrée sur le phénomène de manque qui transforme un médecin en un être faible et agité, en un homme obsédé par la recherche d’un apaisement, de plaisirs artificiels, et, qui le réduit, finalement, à ses seules supplications.

Trop court ? Trop rapide ? Un dénouement trop attendu ?

Peut-être suis-je passée à côté de quelque chose durant ma lecture. Car ce livre m’a ennuyée, il m’a si peu apporté que je devrais sans doute le relire ! Il ne répond à aucune de mes interrogations.

Et vous qu’en pensez-vous ?

Henry JAMES, Le fantôme locataire (1876)

Imaginez un père ayant causé la mort de sa fille, une maison tombée dans l’oubli et un étudiant en théologie bien curieux…

C’est l’hiver, la nuit tombe, le narrateur, jeune homme étudiant en théologie, marche sur une route peu fréquentée. Sur son chemin il remarque une demeure isolée qui attise bientôt sa curiosité : la maison semble abandonnée, les volets sont clos et rouillés et le jeune homme réagit immédiatement : « Cette maison est tout bonnement hantée ! »

Je ne vous en dis pas plus et vous laisse le soin de découvrir qui est le fantôme locataire du titre, quelle est son histoire et quelles sont précisément ses intentions…

Bonne lecture !

Henry JAMES, Histoire singulière de quelques vieux habits (1868)

Aujourd’hui j’ai lu une nouvelle d’Henry James intitulée Histoire singulière de quelques vieux habits, parue en 1868.

Amour, jalousie, psychologie… tout est réuni pour narrer la naissance d’une rivalité entre deux sœurs lorsqu’un homme charmant paraît. Si les deux jeunes filles entrent en une tacite compétition, c’est finalement la plus jeune, Perdita, qui séduit Arthur au détriment de sa sœur Viola.

Les traits de caractère de Viola se précisent de jour en jour après qu’elle apprend qu’Arthur s’est épris de sa sœur. Par dépit et jalousie, elle ira jusqu’à se parer du voile de mariée de Perdita…

Peu après, cette dernière, d’une constitution fragile, ne tarde pas à tomber malade. Consciente de la vanité de sa sœur, elle fait alors promettre à son époux, alors qu’elle est sur son lit de mort, de ne transmettre ses toilettes, bijoux et autres parures qu’à leur petite fille, lorsqu’elle sera en âge d’en profiter. Un serment que Viola apprend et qui la révolte, notamment lorsqu’Arthur finit par l’épouser. S’il refuse de transmettre la garde-robe à Viola qui insiste en ce sens, finalement, sous sa pression, il brise le serment fait à sa défunte femme…

Muriel SPARK, La place du conducteur (1970)

Lise, trente-quatre ans, s’apprête à partir en voyage. Elle parcourt les boutiques pour trouver une nouvelle robe. Voilà pour la scène inaugurale.

Au beau milieu d’une séance d’essayage, la vendeuse souligne la qualité intachable du tissu. Il n’en faut pas plus pour que Lise, crispée, comme offensée (pourquoi tacherait-elle sa robe ? A-t-elle l’air d’une personne qui tache ses vêtements ?) se débarrasse de la robe et quitte la boutique.

De cette première rencontre avec Lise, le lecteur en ressort d’emblée étonné et par-dessus tout intrigué. Quelle personnalité cet incipit met-il en lumière, sinon celle d’une femme aussi hystérique qu’excentrique ? Singulière, Lise suit une ligne qui paraît toute tracée.

Lise finit par trouver sa tenue, qui frise le ridicule tant elle est bariolée : une robe aux motifs improbables sous une veste à l’imprimé criant. Lise, ainsi parée, est prête à partir en voyage, qu’importent les moqueries de la rue.

Le but de son escapade ? Rencontrer un homme « de son genre », ce qui semble mal parti (sans vouloir divulgâcher l’histoire… qui de toute manière ne peut être divulgâchée). Le lecteur suit Lise au fil de ses rencontres, toutes plus hautes en couleur les unes que les autres. L’impression qui domine par ailleurs : tout semble joué depuis le commencement.

A la lecture de ce court roman, un adjectif n’a cessé de traverser mon esprit : « barré ». Cette femme est barrée. Cette histoire est barrée. Je me suis également interrogée : ne peut-on pas y voir une vague corrélation avec le théâtre de l’absurde ? ; je pense notamment à la Cantatrice chauve (1950) de Ionesco, tant les échanges dans ce roman me paraissent hors du temps, hors de toute raison. Inconcevables. Alors que les propos des personnages se heurtent les uns aux autres, se dessine une impossibilité d’entrer véritablement en contact. Aussi l’absurde se crée précisément à travers la déconstruction du dialogue.

USAMI Rin, Idol

Je viens de lire un roman de l’autrice japonaise USAMI Rin, Idol.

On y suit les pensées d’une jeune fille, Akari, fan d’un musicien dont elle collectionne les photos, les CD et tous les objets dérivés possibles.

Le lycée, ses relations avec ses parents et sa sœur, la vie quotidienne en somme l’ennuient à défaut de la faire rêver. Elle se réfugie alors dans le fandom

Sa vie bascule lorsque son idole frappe une fan, puis disparaît de la scène musicale.

Quand on a tout visé sur une personne, comment s’en sortir lorsque l’inacceptable se produit ? Une vie par procuration laisse alors le champ libre à la vie réelle :

« C’est comme ça que j’allais vivre. En rampant à quatre pattes. » (p.140)

Personnellement je n’ai pas été enthousiasmée par ce roman qui m’a semblé plutôt plat. J’attends vos commentaires sur vos lectures !

Haruki MURAKAMI, L’étrange bibliothèque (2015)

Je viens tout juste de refermer L’étrange bibliothèque, une œuvre déconcertante, envoûtante, écrite par Haruki MURAKAMI.

Conte ou nouvelle, L’étrange bibliothèque nous entraîne à la suite d’un jeune garçon, le narrateur, dans les méandres d’une bibliothèque où il était initialement venu rendre des livres (oui, quoi de plus commun, me direz-vous).

Il rencontre alors un vieillard autoritaire qui l’emmène à travers un labyrinthe improbable jusque dans une cellule où il doit lire trois ouvrages… Puis il fait la connaissance d’un homme-mouton, avant qu’une fillette muette lui apporte son repas. Il comprend bientôt qu’il est pris au piège et apprend que les connaissances acquises lors de ses lectures et qui enrichissent son cerveau seront aspirées par le vieillard.

L’enjeu ? S’enfuir au plus vite avec l’homme-mouton (grand amateur de donuts) avant d’avoir le crâne scié !

S’il évoque un songe, L’étrange bibliothèque soulève également une interrogation sur le savoir : comment est-il acquis, peut-on se contenter du savoir d’autrui, a-t-on besoin de tout savoir sur tout, etc.

Un voyage difficilement concevable dans l’univers de Murakami, des personnages étonnants et un décor sombre, une once de fantastique, font de L’étrange bibliothèque une œuvre onirique et étrange, curieuse et singulière.