DELAUME, Chloé, Pauvre folle (2023)

C’est à travers une écriture très particulière que Clotilde raconte son histoire d’amour avec Guillaume. Elle est dans le train pour Heidelberg et laisse défiler ses souvenirs tels les paysages à travers la vitre.

La mère de Clotilde a été assassinée par son époux, le père de Clotilde donc, Clotilde est bipolaire, Guillaume est homosexuel et a désormais un petit ami.

Pourtant Clotilde échange avec Guillaume, la Reine et le Monstre sont omniprésents dans sa vie, dans sa tête. Ils s’écrivent, donc, et Clotilde espère-t-elle ?

Un roman qui aborde une histoire d’amour révolue car impossible, écrit dans un style parfois complètement fou : Clotilde extrait de sa tête d’une façon qui paraît concrète des éléments de son existence.

Un roman qui pourrait être des plus douloureux mais que la narratrice parvient à sublimer avec finesse et à grand renfort de distanciation davantage que de dissociation.

Dans ce roman j’ai appris le terme « forclusion », mécanisme psychique introduit par Lacan pour définir un rejet psychologique. Le sujet, en l’occurrence Clotilde, rejette donc des évènements et autres éléments insupportables avant de les intégrer. Tout ceci inconsciemment.

Je vous ai déjà parlé de La Transparence intérieure de Dorrit Cohn, je vous propose de lire Pauvre folle à la lumière de cet ouvrage.

Anthologie : 10 nouvelles fantastiques de l’Antiquité à nos jours

Je viens de finir de lire les nouvelles regroupées dans l’anthologie 10 nouvelles fantastiques de l’Antiquité à nos jours. Voici celles qui m’ont particulièrement marquée.

J’ai été très étonnée à la lecture de la Maison hantée écrite par… Pline le jeune ! Le fantastique n’est donc pas né avec Hoffmann et Chamisso au XIXe siècle. En quelques paragraphes Pline le jeune parvient à capter l’attention du lecteur en lui proposant une histoire de fantôme des plus originales.

J’ai également adoré le Coquillage de Ray Bradbury : il y est question d’un petit garçon et d’un étrange coquillage. Le placer près de son oreille ne sera pas sans conséquence. C’est sa mère elle-même – qui lui a innocemment offert ce présent – qui découvrira l’horreur du dénouement.

Le recueil s’achève avec Fonds d’écran de Pierre Bordage. C’est l’histoire d’un adolescent qui cherche à s’intégrer à l’école. Est-ce que le téléphone portable qu’il vient de s’offrir pourra lui apporter quelque notoriété auprès de ses pairs, sinon au moins le rendre un peu populaire ? Vous le découvrirez en lisant cette nouvelle contemporaine, dans laquelle un objet banal va se transformer en objet maléfique…

10 nouvelles fantastiques de l’Antiquité à nos jours, présentées par Alain Grousset, Flammarion jeunesse, 2019.

Bonne lecture !

Auteure, autrice ?

Actuellement les deux termes « auteure » et « autrice » coexistent pour féminiser le terme « auteur ».

Dès lors, une question se pose : lequel est le plus légitime ? Est-ce une faute d’employer l’un ou l’autre ? Et par conséquent, lequel employer en toute correction ?

La réalité n’est pas si simple.

« Auteure » est un néologisme venu du Canada qui porte la préférence de l’Académie française ; il est par ailleurs plus fréquemment employé que le terme « autrice ».

La forme « autrice », plus régulière, semble ainsi plus correct grammaticalement car il se forme comme les autres termes masculins finissant en -eur : lecteur – lectrice, créateur – créatrice… En revanche il peut être entendu comme agressif à l’oreille.

A savoir : « les deux termes « auteure » et « autrice » sont finalement entrés dans l’usage, or pour l’Académie française, c’est l’usage qui fait la règle.

Alors, « autrice » ou « auteure » ? Ou encore « écrivaine » ? « Ecrivaine », ce sera pour une prochaine fois 😉 !

Je vous invite à consulter les liens ci-dessous, qui vous apporteront de précieuses indications !

Pour aller plus loin

https://www.lalanguefrancaise.com/orthographe/auteure-ou-autrice

https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2018/03/07/37002-20180307ARTFIG00093-auteure-autrice-ecrivaine-quelle-orthographe-employer.php

https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/auteure-ou-autrice-cette-feminisation-des-noms-de-metier-qui-seme-le-doute-20220308

Où quelques mots suffisent pour créer des images (oui, le propre de la poésie)

« (…) La grâce dérobée des fleurs.

Parce qu’elles s’inclinent sous leur propre poids, certaines jusqu’à terre, on dirait qu’elles vous saluent, quand on voudrait les avoir soi-même, le premier, saluées.

Ainsi groupées on dirait une figure de ballet (…). »

Plus loin :

« (…) Elles s’ouvrent, elles se déploient, comme on voudrait que le fassent le temps, notre pensée, nos vies.

L’ornement, l’inutile, le dérobé

Saluez ces plantes, pleines de grâce

Parure, vivante, brièveté changée en parure, fragilité faite parure

Avec ceci de particulier, sinon de plus, qu’elles pèsent, qu’elles s’inclinent, comme trop lasses pour porter leur charge de couleur. Quelques gouttes de pluie et ce serait l’éparpillement, la défaite, la chute (…) ».

Et finalement :

« (…) Elles n’auront pas duré (…) ».

Cette citation est extraite du poème « Les Pivoines », lui-même extrait de l’ensemble « Après beaucoup d’années » (JACCOTTET, Philippe, Cahier de verdure suivi de Après beaucoup d’années, Gallimard, 1994).

Taxinomie, taxonomie, n.f.

Que vous évoquent ces deux termes ? Une seule lettre peut-elle les différencier ? C’est ce que je croyais jusqu’à ce que je consulte le CNRTL, qui les place sur le même plan :

https://www.cnrtl.fr/definition/taxinomie

Nous retenons d’abord deux acceptions scientifiques :

  1. Science des lois et des principes de la classification des organismes vivants ;
  2. Classification d’éléments, suite d’éléments formant des listes qui concernent un domaine, une science.

En linguistique, il s’agit de la classification d’éléments, de suites d’éléments formant des listes qui concernent un domaine, une science.

J’ai découvert ces termes lorsque je travaillais sur Georges Perec dans le cadre de mon master 2 de lettres modernes. J’avoue m’être bien amusée à étudier les listes, les inventaires, les classifications, les énumérations qui foisonnent dans son œuvre, aussi bien dans les Choses que dans la Vie mode d’emploi

Pour aller plus loin

Georges PEREC, Penser/Classer, éditions du Seuil, 2003

Et aussi
https://larepubliquedeslivres.com/georges-perec-en-plein-vertige-taxinomique/

https://www.cairn.info/reel-de-la-science-reel-de-la-psychanalyse–9782749266404-page-113.htm


Edgar Allan POE, La Chute de la maison Usher (1839)

Je viens de finir de lire un court récit mené d’un bout à l’autre à un rythme saccadé par un narrateur attentif et observateur. Il s’agit de la Chute de la maison Usher, publié par Edgar Allan Poe en 1839.

Résumé

Roderick Usher vit avec sa sœur dans une sinistre demeure. Le narrateur vient y séjourner quelques semaines, ayant reçu une lettre de son ami l’y invitant instamment. Il découvre alors la maison qui lui inspire d’emblée quelque terreur, avant de pénétrer à l’intérieur où l’y attend son ami.

Conte ou nouvelle ?

Si le terme « conte » est utilisé couramment au XIXe siècle, la Chute de la maison Usher n’est pas sans présenter les caractéristiques d’une « nouvelle », notamment par sa structure : brièveté, réalité, chute, mais aussi par l’introduction d’un élément dans le récit que Todorov nomme « hésitation ». L’hésitation du narrateur (et du lecteur si l’on s’intéresse aux théories de la réception) est telle qu’elle sous-entend une dimension fantastique au récit, déjà esquissée par l’isotopie de l’affliction et celle de la peur.

Nouvelle fantastique

Plusieurs éléments concordent pour pouvoir parler de nouvelle fantastique.

C’est précisément au milieu du récit (l.286-288) que l’on sent un basculement hors de la réalité tangible : « j’appris que le coup d’œil que j’avais jeté sur elle serait probablement le dernier, – que je ne verrais plus la dame, vivante du moins. »

L’aspect fantastique est renforcé par des expressions telles que « sensations extranaturelles » (l.222), mais prévalent indéniablement les isotopies qui se mêlent, s’approchent, se démêlent, à mesure que le terme « mélancolie » laisse place à l’oppression, au malaise, et jusqu’à l’épouvante : « le sinistre fantôme, la PEUR ! » (l.269).

Brièvement

Voici un récit très rapide et très facile à lire et dont les clés de lecture sont très accessibles. Le résumé est succinct à dessein : je ne veux pas vous en dire plus !

Pour aller plus loin

https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-chute-de-la-maison-usher-pourquoi-cette-nouvelle-d-edgar-poe-fascine-autant-8374918

https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2013-1-page-27.htm

https://www.cairn.info/revue-etudes-2008-6-page-789.htm

Le mot du lundi : idiotisme, n.m.

Aujourd’hui au programme : le terme idiotisme dans ses acceptions purement linguistiques.

Idiotisme vient du latin idiotismus, du grec tardif idiôtismos, de idios, « particulier ».

L’idiotisme est une forme linguistique qui présente deux principales caractéristiques :

  1. elle est propre à une seule langue ;
  2. elle est intraduisible : on pense par exemple aux anglicismes, gallicismes, germanismes…

Référons-nous à deux figures d’autorité !

Dans le Petit Robert, on relève précisément : « Expression ou construction propre à un idiome, et qui n’a pas son équivalent syntaxique exact dans d’autres langues ».

Enfin nous avons choisi pour exemple le terme « reporting » : voici ce qu’en dit l’Académie française :

« Le nom français rapport désigne, depuis le xiiisiècle, l’action de porter quelque chose à la connaissance d’autrui ou encore un récit, un témoignage, la relation d’un évènement. En ce sens, c’est un synonyme de compte rendu, apparu dans notre langue deux siècles plus tard. Il n’est pas nécessaire de remplacer ces mots par l’anglais de même signification reporting, dérivé du verbe to report, « raconter, faire un rapport, un compte rendu », lui-même emprunté, au Moyen Âge, du français reporter, qui signifiait alors « rapporter, raconter ». »

https://www.academie-francaise.fr/reporting-pour-compte-rendu-rapporthttps://www.academie-francaise.fr/reporting-pour-compte-rendu-rapport

Bonne soirée !

Mikhaïl BOULGAKOV, Morphine (1927)

Morphine est une nouvelle quasi-autobiographique dans laquelle il est essentiellement question de l’addiction progressive et douloureuse d’un médecin à la morphine.

Russie, 1918

Dans ce récit court, cru et rapide, un médecin, Poliakov, appelle à l’aide un ancien collègue, Bomgard.

On apprend rapidement que Bomgard ne pourra pas sauver Poliakov. Il reçoit en effet peu après le journal intime de Poliakov qui le lui adresse comme une anamnèse après s’être donné la mort.

Ce journal intime s’insère dans le récit, créant par là une véritable mise en abyme (un récit dans le récit). A sa lecture on apprend la descente – en abyme ? – aux enfers de Poliakov : Morphine relate prestement le douloureux parcours d’un médecin qui tombe par quelques milligrammes ou centigrammes dans l’addiction à la morphine. Descente vertigineuse.

Peut-être devrais-je dire qu’il s’agit là d’un chef d’œuvre du genre, que la morphinomanie y est limpidement décrite, concentrée sur le phénomène de manque qui transforme un médecin en un être faible et agité, en un homme obsédé par la recherche d’un apaisement, de plaisirs artificiels, et, qui le réduit, finalement, à ses seules supplications.

Trop court ? Trop rapide ? Un dénouement trop attendu ?

Peut-être suis-je passée à côté de quelque chose durant ma lecture. Car ce livre m’a ennuyée, il m’a si peu apporté que je devrais sans doute le relire ! Il ne répond à aucune de mes interrogations.

Et vous qu’en pensez-vous ?

Le mot du lundi : amphibologie, n.f.

Le mot amphibologie est un substantif féminin.

Prenons un exemple proposé par le Cnrtl : louer une maison. On peut en effet louer une maison…

  • … en tant que locataire
  • … ou en tant que propriétaire de la maison.

Cela dépend du point de vue, mais surtout du contexte.

Prenons un autre exemple, cette fois-ci tiré du Larousse : « Les magistrats jugent les enfants coupables. » Ici, le propos prête à confusion :

  • qui est jugé coupable ? -> tous les enfants
  • ou bien : comment les enfants sont-ils jugés ? –> ils sont jugés coupables.

Ainsi, quelle que soit l’acception considérée, linguistique, rhétorique, philosophique, on retient essentiellement qu’il s’agit là d’un double sens, a priori dû à une maladresse, voire dû à un choix stylistique.

Qu’en est-il de l’étymologie ? Si pour le Larousse le terme amphibologie vient du grec amphibolos (« ambigu ») et logos (« discours »), le Petit Robert évoque quant à lui un terme formé du grec amphi (« double ») et ballein (« lancer »).