Maëlle GUILLAUD, Lucie ou la vocation (2016)

Lucie a vingt ans. Étudiante en classe préparatoire littéraire, elle souffre de la pression et de la compétition que la khâgne impose. Elle est amie avec Mathilde, une jeune fille qui lui fait découvrir l’univers religieux. Bientôt attirée puis fascinée, elle choisit alors de se consacrer à Dieu et entre au couvent.

Mon analyse porte notamment sur le début du roman, dans la mesure où les éléments fondamentaux y sont posés. Je développerai trois axes majeurs.

1) Les premiers instants de grâce

Dès l’incipit, lorsque Lucie approche de la basilique, il est question d’une « cour pavée nimbée de lumière » (p.11). La lumière, les pavés, une cour loin de la rue, donc, la corrélation entre ces éléments n’est pas sans créer un effet de rayonnement, évoquant à son tour une scène de transfiguration. Lucie est comme touchée par la grâce : nous retrouvons en effet de nombreux termes relevant de la grâce, notamment cet « amour [qui] l’enivre », une « force plus grande qu’elle, douce et enveloppante ». Tout n’est ici pour elle que sérénité et amour. Sa meilleure amie, Juliette, le remarque plus tard, lorsqu’elle la retrouve dans la chambre de Lucie qui loge chez sa grand-mère. Elle note en effet un changement chez son amie, dont le « regard (…) pétille de bonheur ». Ce changement est transformation, une métamorphose qui tient en une phrase prononcée par Lucie : « ma vie a pris un sens » (p.17).

Par ailleurs nous relevons l’isotopie de la sécurité. Ainsi dans la basilique Lucie est « à l’abri » (p.11), entourée par la rassurante puissance des murs. Ceci s’oppose notamment au bruit urbain ; en effet plus loin, au couvent, il est question du silence de ce lieu sacré, Lucie se sentant « à l’abri du bruit ». On retrouve plusieurs occurrences du terme « silence » : « un silence épais » (p.18) ; « dans le réfectoire, pas un bruit ». Le silence règne dans le couvent, les religieuses n’échangent pas un mot. Il est convenu que le silence induit une certaine sérénité.

La grâce traduit la foi qui habite Lucie, qui se nommera bientôt sœur Marie-Lucie. La prieure (la mère supérieure) définit la foi par ces mots : « La foi, c’est l’espérance. (…) Il n’y a pas de foi, mais des preuves de foi ». Quant à Lucie, « sa foi existe. Elle en est certaine » (p. 24). Plus loin, « sa pureté irradie »; « l’avenir est prometteur » (p.34). Nous retrouvons là deux thèmes fondamentaux, soit la lumière ici liée à la pureté, et l’avenir, cet espace d’angoisse pour Lucie et qui est aussi l’un des points de départ du roman.

2) Exigence et pugnacité

Nous pouvons établir un certain parallèle entre la vie au couvent et la khâgne, où difficulté rime avec opiniâtreté. Ainsi le quotidien de la prépa est décrit p.13-14 : « Lucie a l’estomac noué » ; l’asphyxie intellectuelle et physique à la fois n’est pas loin tant « elle suffoque ». La khâgne est définie comme un « enfer », « une « année douloureuse », l’absence de son père décédé manque terriblement à Lucie pour affronter les difficultés qu’elle rencontre.

En khâgne sont évoqués « les tourments quotidiens ». Pire que cela, Lucie se sent enfermée, et par là oppressée : « cette cage dans laquelle l’enfermement les exigences de son milieu » ; « l’avenir est oppressant ». Sa vie se résume à ses allers-retours entre le lycée et l’appartement de sa grand-mère, une vie comme close sur elle-même, contrairement à celle de son amie Juliette qui va de découverte en découverte.

Mais qu’en est-il de la vie au couvent ? Car certains termes sont forts, parfois violents : « la foi la dévore, il la grignote peu à peu » (p.22). De la même façon, nous relevons deux fois le terme « attaque » : « la vieille dame laisse le silence s’installer avant d’attaquer (…) » (p.19). Ce terme semble incongru, déplacé au premier abord : « la mère supérieure choisit un autre angle d’attaque ». De la même façon, lors du premier repas au réfectoire, Lucie croise le regard de la prieure, un regard « sévère », qui la « brûle » (p.35), tandis que celui de la maîtresse des novices est décrit même comme « méchant ».

Par ailleurs, la hiérarchie et l’ordre sont fondamentaux au couvent. Ainsi nous lisons qu’elle « a découvert une armée du Christ, dont la hiérarchie est très organisée » ; « ce monde est régi par des lois  » (p.39) ; à propos de Dieu, il faut « faire sa volonté, observer ses commandements, lui obéir » (p.25). Il est ainsi question du « plus grand des sacrifices » (p.28). Le père Simon confirme la nécessaire obéissance à cet ordre devant lequel Lucie ne devra pas faillir: « Le quotidien est codifié, sévère, les règles, implacables » (p.30).

À partir de là, se pose la dialectique de la victime et du bourreau. La mise à l’épreuve commence dès la page 24. S’ensuivent punitions, humiliations, brimades et jusqu’à la dénonciation de son ancienne amie Mathilde – qui a également rejoint le couvent – à qui sœur Marie-Lucie a fait secrètement passé un message. L’humiliation et la brutalité s’expriment notamment lors de l’épisode du réfectoire évoqué plus haut (p.36).

3) Le doute ou le rayonnement de la foi en question

Lucie semble être une jeune fille fragile, qui s’interroge sur son avenir, peine à remettre en question la carrière qu’elle souhaitait embrasser, poussée par ses parents. Ainsi dès la page 11 : « Depuis peu, elle n’a que des doutes » ; elle « cherche encore quel sens donner à sa vie ». Plus loin, nous relevons : « Chaque matin, elle doute de l’orientation qu’elle a choisie » (p.13). Quant à son quotidien, sa khâgne, il est question de « néant abyssal », d’un « tourment de chaque instant ». Et puis, il y a la grâce. La foi : « Ma vie a pris un sens ». Ces propos qui atterrent son amie Juliette marquent son détachement de la classe préparatoire et son entrée dans la vie monastique.

Dès lors, la foi de Lucie se construit à partir des épreuves qu’elle traverse, mais aussi par-delà les doutes qui s’imposent à elle.

Le terme « doute » est effectivement récurrent, ce qui finalement, si nous pouvons dire, ramène Lucie sur terre. Car elle n’est pas destinée à une vie rayonnant au quotidien, comme elle le réalise rapidement. L’être humain est des plus prononcés chez les sœurs dans ce roman, où règnent inimitiés et rivalités, au grand étonnement, initialement, de la sensible Lucie. La peur de ne pas s’intégrer ni de s’épanouir au couvent la prend à la gorge : « Jamais elle ne tiendra si… » (p.36). Les doutes se transforment en crises de doute. Suite à cet épisode du réfectoire, sœur Marie-Lucie regagne sa cellule, profondément déçue et humiliée : « Sa déception est fulgurante » (p.39). Le terme « survivre » employé confère par là une impression de difficulté à la fois physique et morale. Elle invoque le courage qui lui manque, s’adresse à Dieu, et, pour finir, pleure de soulagement lorsqu’elle ressent « Sa présence » (p.40). Un tel épisode se reproduit plus loin, lorsque sœur Marie-Lucie se laisse aller à penser à sa famille, ses amis… « Ici, tout lui manque » : sa foi n’est peut-être pas encore suffisamment ancrée en elle, dans sa chair. Si elle va jusqu’à penser que « cet endroit est pire qu’un tombeau » (p.47), le dénouement de la crise est le même que précédemment, elle en ressort apaisée, plus croyante que jamais, sûre d’elle et de l’amour divin qui la transcende.

Quelques mots de conclusion

Lucie recherche le bonheur, un « antidote à l’ennui qui si souvent la guette » (p.22). C’est en devenant sœur Marie-Lucie qu’elle va tenter de combler le vide dont elle souffre. Un vide paradoxalement basé sur le plein, tant son existence quotidienne est saturée par ses études. Un vide qui laisserait les fantômes dont parle son professeur de philosophie prendre trop de place, trop d’espace, trop de temps. Un vide que peut-être, sœur Marie-Lucie, en dépit de toute sa bonne foi joue à pile ou face (p.27) et cherche d’abord et fondamentalement à fuir lorsqu’elle pousse la porte de la basilique. Les raisons de son choix sont structurelles, et nous ne pouvons nier l’amour que la jeune femme voue à Dieu. Les causes en revanche ressemblent à une fuite, elle fait taire les doutes quant à sa future carrière, elle se protège de la ville, de ses bruits qui l’agressent. Elle se préserve, finalement, d’une vie qui l’effraie alors qu’elle fait taire ses propres fantômes (dés-?)incarnés.

De nombreux autres éléments pourraient être ajoutés bien entendu ; rappelons toutefois que cette analyse porte quasiment exclusivement sur le début du livre, là où Lucie est touchée par la grâce, là où elle choisit la vie monacale, là où, enfin, elle lutte avec elle-même de façon acharnée pour maintenir la ligne de vie qu’elle a choisie – ou par laquelle elle a été choisie…

Voici par ailleurs quelques pistes de réflexion :

– doute et hésitation : le rayonnement de la foi en question ;

– dialectique de la victime et du bourreau. Il s’agit là des punitions, humiliations et brimades subies par sœur Marie-Lucie. Nous pouvons y voir également un renversement, de victime à bourreau et de bourreau à victime. La notion de pêché peut également être abordée ;

– hiérarchie et ordre : comment le couvent est structuré, le rôle de la mère supérieure, la dévotion des sœurs. Les novices ;

– la polyphonie tout au long du roman : l’histoire de sœur Marie-Lucie alterne avec les pensées de son amie Juliette, transcrites en italiques.

Si vous avez trouvé cette analyse (quoique brève) intéressante, je vous invite à lire le roman et notamment la période dont j’ai choisi de ne pas parler, et de me proposer à votre tour des éléments interprétatifs…

Bonne lecture !

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